20/10/2021

Le « wokisme » est le dévoiement du progrès

Nicolas de Pape, vous venez de publier votre nouvel essai « Tout doit disparaître », dans lequel vous décrivez une civilisation occidentale en état de siège. La menace vous paraît-elle d’abord extérieure — avec les séductions du modèle chinois — ou intérieure ?

Les deux.

La cancel culture s’est développée dans les universités américaines au départ de la « French Theory » (Deleuze, Derrida, Foucault) puis est revenue par effet boomerang en France et en Europe. L’Europe ayant la désagréable habitude d’imiter ce que les Etats-Unis ont de pire (malbouffe, radicalisme politique, versatilité extrême) et pas de meilleur (innovation, esprit d’entreprendre), notre continent est en train de se soumettre à une doxa qui lui est étrangère. Une imitation qui est particulièrement grotesque en matière de racisme soi-disant systémique puisque l’Europe n’a jamais pratiqué la ségrégation des Noirs sur son sol. A cet égard, le meurtre de George Floyd, instrumentalisé par les Démocrates, aurait dû rester une affaire américaine. On a d’ailleurs cherché à tout prix à avoir « notre George Floyd » avec l’affaire Traoré notamment. Concernant les attaques contre l’identité, la nation et le souverainisme, elles sont clairement d’origine intérieure, accentuées par notre fusion dans l’Union européenne, une utopie qui n’a pas que des défauts mais qui entend fédérer plusieurs anciens empires dans une superstructure bureaucratique hors-sol, ce qui est voué à l’échec. Mais ce sont bien entendu les nouvelles technologies de l’information et les Big Techs californiens (GAFAM) qui servent d’effet multiplicateur dans cette nouvelle « sociologie-monde ». Dans « The Game », Alessandro Barrico insiste sur le fait que les « hippies milliardaires » à la tête des GAFAM sont obsédés par le « plus jamais 1940-1945 », avatar de la reductio ad Hitlerum. Barrico souligne que la révolution numérique est une cause et non une conséquence. Mark Zuckerberg, par exemple, estime que si Facebook avait existé en 1940, il n’y aurait pas eu le nazisme !

Vous citez en exergue Raymond Aron « Le mythe de la gauche suppose celui du progrès”. Toutefois, l’idée et la réalité du progrès, notamment scientifique et technologique, ne sont-elles pas devenues consubstantielles à la civilisation occidentale ?

La néo-gauche wokiste est antithétique avec toute idée de progrès. Le wokisme est le dévoiement du progressisme. Pour les khmers dégenrés, même l’universalisme anti-raciste prôné par la gauche traditionnelle est le cache-sexe du patriarcat occidental post-colonial. Ils ne veulent pas réformer le capitalisme mais l’abattre. Faire table rase. L’histoire fourmille de ce type de mouvements nihilistes mais pour la première fois peut-être, il pénètre toutes les strates de la société. On le pense limité essentiellement à l’Europe de l’Ouest et les pays forgés par les Européens (Etats-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande). Mais Douglas Murray, dans « The Madness of Crowds » (en français « La Grande Déraison » chez L’Artilleur) auteur qui a fait le tour du monde, l’observe sur à peu près tous les continents. Déjà Russie, Europe de l’Est et Chine affirment qu’ils ne se soumettront pas à cette chimère occidentale, preuve qu’ils sont en état de siège. Qu’on ne s’y trompe pas : les médias polonais et hongrois sont aussi woke que chez nous. Qu’on admire ou qu’on déteste Viktor Orban, il n’aura pas de successeur.

Vous relatez le combat courageux de Jordan Peterson contre la dérive du genre et autres aberrations de la sociologie contemporaine. Comment expliquez-vous que des idées fausses, démontrées fausses, persistent néanmoins à prospérer dans les sciences dites “humaines” même longtemps après qu’on en eut démontré la fausseté ?

Jordan Peterson a été LE lanceur d’alerte… Il l’a payé de deux ans de dépression en institutions psychiatriques… Dans les sciences humaines, l’université se prosterne actuellement devant ces nouveaux dieux néo-progressistes. Le corps professoral a perdu le nord. Dans « Ce que le militantisme fait à la recherche » (Tract Gallimard), Nathalie Heinich décrit l’université gangrénée par des professeurs militants et avides de revanche. C’est la guerre, dit-elle. « Obnubilés par le genre, la race et les discours de domination, ces professeurs appauvrissent l’Université de la variété de ses ressources conceptuelles. » Toutes sortes de thèses plus ou moins fantaisistes sur la race et le genre sont défendues par des thésards illuminés comme « (Dé)Construire la race : socialisation et conscientisation des rapports sociaux chez les diplômé.e.s du supérieur ». Selon le Rapport sur les manifestations idéologiques à l’Université et dans la Recherche, produit par des membres de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires[1]« l’université est aujourd’hui le théâtre d’un affrontement idéologique mené par les tenants de la déconstruction contre l’Institution elle-même. » Nos jeunes y sont lavés du cerveau puis pris en main par de nombreux médias acquis à la nouvelle révolution. Pour notre jeunesse, sortir indemnes de ce brainwashing relève du tour de force.

Comment expliquez-vous que l’Europe, qui “pèse” 10% des émissions humaines mondiales de CO2, s’imagine changer quoi que ce soit à la matière en réduisant ses propres émissions tandis que le reste du monde, à commencer par la Chine et l’Inde, persiste à les accroître de façon exponentielle ?

Par vanité. Les Européens (et singulièrement les technocrates hors-sol de la Commission européenne), bien qu’adeptes d’un antiracisme à œillères, se croient toujours actionnaires d’une civilisation supérieure qui se doit d’évangéliser les autres, moralement inférieures. En cela, ils pratiquent une sorte de néocolonialisme sans le savoir. L’Europe est le phare de la pensée mondiale et doit donner l’exemple en sauvant la planète mieux et plus rapidement que tout le monde. Conséquence pratique : la rapidité de la Transition énergétique européenne fait augmenter le prix du gaz car les marchés ont anticipé une forte demande pour compenser l’intermittence des énergies renouvelables, éoliennes et solaires.

Vous citez le Pape François comme agent du néoprogressisme contemporain. Un mot d’explication ?

Le Pape François ne comprend rien à l’Europe. Il est traumatisé par le fait qu’il a collaboré avec la dictature militaire argentine et veut s’amender. En cela, il rentre parfaitement dans le schéma de la repentance actuelle. Le Pape n’évangélise plus. Il met à égalité les « esprits » des peuplades amazoniennes et son Dieu. Il préfère accueillir des migrants au Vatican que se préoccuper du recul persistant de la pratique catholique en Europe. Je suis agnostique sans religion mais dans les moments tragiques que nous connaissons, nous aurions eu besoin d’un Jean-Paul II qui, avec Ronald Reagan, abattit le communisme soviétique.

Enfin, quel est votre pronostic pour la situation de l’Occident en 2050, c’est-à-dire demain ?

Le nihilisme wokiste et Cie va échouer tellement il est contraire au bon sens et à la biologie. Mais comme les anciennes utopies, il peut durer plusieurs décennies et faire beaucoup de dégâts avant d’être vaincu. C’est pourquoi il est urgent que la gauche « républicaine » anti-woke retrousse ses manches et aille au combat. Qu’elle prenne exemple sur les TERF (Trans-exclusionary radical feminist). C’est encore et toujours la gauche qui fait l’opinion.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Drieu Godefridi pour Dreuz.info.

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