A la suite de la votation de ce week-end, voici un article intéressant qui rappelle notamment l'existence de l'art. 121a Constitution fédérale. Son auteur, M. Michel Piccand, déplore surtout que cet article reste inappliqué à ce jour:
La votation du 27 septembre sur la libre circulation a été perdue mais ceux qui ont gagné se réjouissent un peu vite.
Si je sors ma Constitution je peux toujours y lire l’article 121a voté en 2014. La votation de ce dimanche n’y change strictement rien.
L’article 121b voté ce dimanche avait pour but de mettre fin à la libre-circulation. L’article 121a de 2014 a pour but de réguler cette libre-circulation par le moyen de plafonds et de contingents. Et il n’est toujours pas appliqué.
Mettre fin à la libre-circulation ou la réguler sont deux choses totalement différentes qui ne peuvent pas se confondre.
Les citoyens feront donc extrêmement attention à ce que vont raconter les politiciens. Ces derniers n’ont ici aucun droit d’interpréter l’article 121a ou de nous inventer un autre tour de passe-passe comme la démocratie « élastique » du conseiller fédéral Ignazio Cassis.
Du point de vue constitutionnel ce week-end il ne s’est strictement rien passé. Rien n’a été ajouté et rien n’a été retranché. La situation qui prévaut est donc un statu quo ante, l’article 121a de 2014 est toujours en vigueur et toujours inappliqué et notre Constitution toujours violée. La Suisse doit toujours retrouver l’autonomie de sa politique migratoire.
Les défenseurs de la libre-circulation pensent avoir gagné quelque chose, ils n’ont même pas gagné un marigot.
Faut-il rappeler qu’au milieu de cette campagne il y a eu une grande absente qui va revenir et qui ne pourra pas être contournée dans le débat sur l’accord cadre. Il s’agit de la souveraineté.
Dans toute discussion on peut faire semblant qu’une partie du problème n’existe pas. Il ne tarde jamais à resurgir comme la montagne au milieu de la plaine.
La libre-circulation et l’accès facilité au marché tels qu’ils sont aujourd’hui ont été conservés. Bravo. Ce n’est que le début de la bataille. La vérité sur nos relations avec l’UE va resurgir.
Faut-il rappeler que l’UE a clairement énoncé qu’elle n’était plus d’accord d’avancer sur la voie bilatérale si nous n’acceptons pas l’accord cadre. Et ici ce n’est désormais plus une partie du peuple qui demande l’arrêt de la progression des bilatérales, c’est l’UE elle-même qui va l’imposer. Et les conditions de la bataille ne seront plus du tout les mêmes.
En un mot la voie bilatérale est bloquée dans son état actuel et pas sûr que l’UE l’accepte très longtemps. Le droit du marché de l’UE change continuellement et sa compatibilité avec les accords bilatéraux actuels n’existe que parce que le peuple ne demande pas de référendums sur ces modifications du droit européen qui sont reprises automatiquement dans nos accords bilatéraux, ce système fonctionne tant que personne ne s’y oppose…
Les milieux économiques pro-européens croient avoir gagné et pensent qu’ils tiennent le couteau par le manche. Ce n’est pas la réalité.
Il y en a assez maintenant de prendre les gens pour des idiots et de les tromper continuellement, en plus de leur confisquer leurs votes. La désinformation et l’abus des citoyens pratiqués par les politiciens durant la campagne en leur racontant que les frontières seraient fermées, que nos exportations s’effondreraient, que la protection du droit du travail s’effondrerait, a littéralement été odieux. C’est un manque de respect absolument incroyable.
Les souverainistes peuvent montrer encore d’autres choses sur la démocratie directe. Nous pouvons mettre encore beaucoup de choses dans notre Constitution. Tiens, par exemple, le crime pour infraction politique, la poursuite ou la destitution des politiciens qui refusent d’appliquer les lois. L’interdiction d’utiliser les deniers publiques pour financer leurs campagnes. Le droit pour le citoyen de ne pas payer son impôt tant que toutes les lois, et l’on dit bien toutes les lois, ne sont pas appliquées, comme les lois sur la migration.
Il y a au milieu de ce débat un mur qui est infranchissable et il s’appelle la souveraineté. Durant cette campagne les politiciens opposés à l’initiative ont fait comme si elle n’existait pas. Ils expliquent maintenant qu’ils vont négocier l’accord cadre. Mais qui viole la constitution peut-il avoir la légitimité de la représenter ? Ils croient que le problème est en partie réglé, il ne fait que commencer. Le temps constitutionnel comme le temps juridique n’avance pas à la même vitesse que le temps ordinaire. Certains pourraient demain se retrouver surpris.
Tout le débat ne tourne qu’autour des questions économiques mais à la fin il y a toujours ce mur infranchissable qui est celui de l’incompatibilité de nature entre notre système politique et celui de l’UE. Deux systèmes qui peuvent coopérer mais qui ne pourront jamais être unifiés.
Les Européens peuvent continuer à vouloir nous imposer leurs lois et leurs juges, continuer à coloniser notre pays, mais dans une nature qui leur en montrera bientôt les limites. Il restera toujours dans ce pays un noyau dur, infranchissable, qui est gravé dans l’airain. Un noyau dur dont les valeurs politiques sont supérieures aux leurs.
Michel Piccand
P.S.
Sans développer ici longuement on rappelle que l’accord cadre ou accord institutionnel a notamment pour effet, dans les domaines concernés par les accords bilatéraux, donc y compris l’accord de libre-circulation des personnes, d’obliger la Suisse à reprendre automatiquement et entièrement toute la jurisprudence européenne antérieure et postérieure à la signature de l’accord, et de nous soumettre in fine à la Cour de justice de l’Union européenne et à sa jurisprudence (art. 4 Principe d'interprétation uniforme).
En décodé, il s’agit rien moins que d’une intégration toujours plus poussée du système juridique suisse dans le système juridique de l’UE.
(D’abord on cherche à intégrer par le marché, puis via les lois et les règlements on cherche à intégrer l’appareil judiciaire).
Faut-il rappeler que l’accord cadre interdira à la Suisse toute aide étatique sous quelque forme que ce soit aux entreprises suisses, sauf cas de graves difficultés économiques (et selon les définitions qu’en donne ou en donnera la jurisprudence européenne) (art. 8A ch.2). Il interdira les aides d’Etat dans une mesure jusqu’ici inconnue en Suisse.
Faut-il rappeler que l’interdiction des aides d’Etat est un principe général du marché européen visant à niveler la concurrence dans tous les pays et dans tout le marché intérieur, et qu’il est NON négociable. Vous vouliez tout le gâteau, attendez de voir la couleur de la cerise.
Ceux qui croient que le principe des aides d’Etat est négociable se trompent lourdement. Si un tel principe était négociable par chaque Etat ce ne serait plus un principe et il n’aurait plus aucun sens ni aucune utilité. Si des aménagements sont faits ils ne seront jamais que provisoires histoire de faire passer la pilule.
On se réjouit déjà d’en imaginer les effets sur le marché helvétique, par exemple dans la construction lémanique qui facture à l’Etat ses fouilles 55 % plus cher que dans le Mitteland… Comment dira-t-on ? « Il s’est fait ratiboiser par la concurrence européenne ? » et cela vaudra pour tout revenu lucratif, donc aussi pour le gentil paysagiste avec qui la commune est bien gentille et qui lui réserve ses travaux communaux, pour le gentil artiste (gentil anti-frontière) avec qui le conseil de ville est bien gentil en lui passant commande, ou pour le gentil chercheur, et qui pourront les uns et les autres se voir mis en concurrence avec d’autres venant de plusieurs milliers de kilomètres de là et dont ils n’ont même jamais même entendu prononcer le nom. On se réjouit des descriptions de l’avenir des CFF qui sont déjà les parmi les plus chers du monde et qui précisément ne peuvent survivre sans « aides d’Etat » …
On se réjouit déjà. Ce sont ceux qui croient avoir gagné ce week-end qui vont venir pleurer demain.
Car il va falloir désormais expliquer à tous ces gens tout ce qu’il y a derrière les intentions européennes. Pourquoi l’UE ne veut plus se contenter de coloniser notre pays par la migration et pourquoi elle veut maintenant imposer l’entier de son droit et de ses juges.
Vous avez cru que vous pouviez escamoter la question de la souveraineté, elle va vous revenir en pleine figure. Vous pensiez que vous pouviez être éternellement dans l’illégalité et donner des leçons ; en général dans la vie ces attitudes ne résistent jamais très longtemps.
Vous pensiez que la question européenne s’arrêtait à la libre-circulation et à l’accès facilité au marché ? Sans doute devriez-vous alors vous demander si vous vous abreuvez bien aux bonnes sources d’informations.
Le monument de le bataille de Morgarten