La question brûlante des flux migratoires et de la gestion des migrants généreusement appelés « réfugiés » est-elle en voie de formuler des solutions efficaces ? Les discours officiels politiques ou religieux, avec leurs contradictions, ont longtemps montré un déni abyssal de la gravité des problèmes. La référence aux droits humains et à la libre circulation des personnes est constamment invoquée selon un langage convenu pour camoufler l’absence de volonté politique des dirigeants – à gauche comme à droite – face aux flux illégaux de migrants dans les pays européens et à la montée de la criminalité.
Trois paramètres essentiels sont rarement pris en compte face au mouvement migratoire : le coût astronomique des prises en charge, la réelle menace sécuritaire avec les faits de délinquance et d’attentats, et l’absurdité de la transplantation de jeunes Africains ou Asiatiques hors de leur propre environnement social et culturel.
Porter secours aux plus démunis au nom des droits de l’homme ou au nom de principes spirituels est honorable, mais cela ne dispense aucunement d’une indispensable régulation. Zemmour a eu le mérite de mettre en évidence le fait que la coexistence dite multiculturelle entre groupes humains d’origines et de civilisations différentes ne fonctionne pas, dans nos pays occidentaux aux multiples fragilités sociétales et aux capacités financières limitées.
La question sensible des « demandeurs d’asile » – dénomination floue recouvrant des cas très divers – ne peut plus être abordée sous le seul angle politiquement correct et abstrait des « droits de l’homme », selon un concept extensible à volonté.
Si les consciences humanistes sont à juste titre interpellées par les recommandations des instances internationales reconnaissant la détresse des réfugiés réellement menacés dans leur pays par la guerre, les violences ou la persécution religieuse, il apparaît que le système mis en place par les passeurs et les ONG ne sert pas vraiment les causes revendiquées, et qu’il ne pourra s’amplifier indéfiniment sans susciter des catastrophes. Les médias jouent la carte de l’émotionnel auprès des opinions, par exemple en ciblant des photos impliquant des enfants qui sont pourtant très minoritaires dans les embarcations de migrants.
Certes, les obligations éthiques d’accueil d’urgence dans des pays disposant de ressources peuvent être invoquées légitimement pour certaines situations, mais avec des critères précis et en tenant compte des budgets nationaux déjà en crise. Rocard l’avait dit en son temps : impossible d’accueillir toute la misère du monde !
De ce fait, lorsque certains discours, (angélisme gauchiste ou ecclésiastique) tendent à globaliser par avance les mécaniques migratoires, et à écarter d’emblée de manière compassionnelle tout discernement, cela veut dire qu’est abandonnée toute maîtrise des flux grandissants. Chacun sait que le vocable de réfugiés et d’immigrés recouvre des réalités extrêmement différentes. Peut-on continuer de laisser croire à un accueil inconditionnel et illimité sans analyser ce qui se joue derrière ces transbordements ? S’il est vrai qu’une proportion significative d’individus et de groupes fuient des conjonctures de guerre et de persécution, d’autres – en majorité – viennent tenter leur chance dans des économies généreuses où les aides sociales sont – encore pour quelque temps – attractives et substantielles. Pourquoi ces jeunes qui déferlent dans les régions d’Europe ne s’organisent-ils pas sur place pour contrer les pouvoirs corrompus et préparer des alternatives pour leur avenir ?
Ainsi, depuis une quarantaine d’années, des millions d’individus provenant majoritairement de pays musulmans en crise ont migré et se sont installés dans les cités des nations européennes de civilisation judéo-chrétienne. Un tel transfert de population allogène en si peu de temps ne s’était jamais produit auparavant sur le vieux continent. Les conséquences de ces colonies massives de peuplement en période de dénatalité occidentale n’ont pas été évaluées par les dirigeants auxquels les citoyens ont confié la défense de leurs personnes et de leurs biens. Un transfert de population se poursuit sur fond de menaces multiples. Il suffit de constater cette impression d’étrangeté que l’on ressent dans les rues et les marchés des grandes villes d’Europe ainsi que dans les transports en commun. On peut appeler cela « grand remplacement » ou « mutation démographique », peu importe, le fait est bien réel.
Il est par ailleurs évident que nos pays occidentaux – en temps de resserrement des budgets – n’ont pas les moyens d’accueillir tous les requérants qui se présenteront, légalement ou illégalement. La seule véritable solution d’avenir serait que les pays européens investissent significativement sur place, dans les pays de départ, en les dotant de structures productives afin d’assurer un avenir décent à leur jeunesse. Avec évidemment des structures de contrôle fiables dans l’utilisation des fonds et l’avancement des projets pour contourner la corruption omniprésente.
Cela revient à multiplier parallèlement les expériences de commerce équitable, afin de donner de nouvelles opportunités aux ressortissants des pays pauvres concernés et consolider ainsi le développement durable. Des partenariats de solidarité efficaces nord-sud doivent être développés pour inverser la logique de ces déplacements massifs de populations qui déracinent les individus et déstabilisent les sociétés occidentales atteintes dans leur identité historique.
Systématiquement, les Eglises se réfèrent à l’Ecriture sainte en faveur d’un « accueil de l’étranger » totalement idéalisé. Dans la bible, il est question de quelques individus, pas de masses, comme c’est aujourd’hui le cas. On fait souvent appel à de grands principes, mais avec le risque d’être en déconnection avec les réalités concrètes du terrain actuel, au départ comme à l’arrivée. Or, si l’on transforme en slogan idéologique et affectif les principes de solidarité émanant de la Tradition judéo-chrétienne en les ouvrant au monde entier, le risque est grand de signer un chèque en blanc et de dériver vers des lendemains incontrôlés.
Les textes bibliques sont là pour nous éclairer, certes, mais à condition de les contextualiser ! Faisons un rapide retour aux sources. Hospitalité, accueil, entraide, les hommes et les femmes de la Bible savent de quoi ils parlent. Dans un tout autre environnement que celui de nos nations modernes, ils ont migré il y a quatre mille ans du Croissant fertile vers les terres de Canaan. Livrées à l’insécurité permanente, ces régions d’Orient n’avaient pas les contours délimités des nations modernes, et étaient peu habitées.
Ces territoires ont longtemps connu toutes sortes de mouvements de peuples dans de grands espaces où sédentarité et itinérance ne correspondaient en rien à la migration massive d’aujourd’hui. Les concepts modernes de frontières historiques n’existaient pas, mais ce sont uniquement ceux de peuple qui donnaient sens aux déplacements de populations d’une région à l’autre. Ceux qui se sont installés dans les pays du Proche Orient se sont dotés de règles de vie en commun, afin de contrer les abus de la loi du plus fort.
Mais de nos jours, les réalités ont changé, on est dans le cadre d’états-nations référencés par l’ONU, et qui se retrouvent de plus en plus confrontés à des cultures religieuses ou politiques exogènes dont l’intégration en Occident est contestée.
Dans l’histoire d’Israël, on sait qu’à certaines périodes de vaches maigres, des tribus sont parties travailler en Egypte. Dans l’antiquité, ces mouvements de peuples étaient occasionnels. L’épisode fondateur de l’Exode est issu de cette situation du peuple hébreu aux prises avec les conditions de vie du pays d’accueil devenues captatrices de son avenir. Avec compassion, rapporte l’Ecriture, le Dieu d’Abraham et de Moïse a pris parti pour les Hébreux devenus esclaves, et il les a aidés, non pas à s’assimiler en devenant des Egyptiens, mais à préserver et reconquérir leur propre destin en repartant librement vers leur terre. La terre promise, une terre d’alliance dont ils prendraient en mains le développement sur des bases éthiques. A partir d’un pacte, et dans une urgence providentielle, Dieu encourageait ce peuple à s’approprier son histoire et à renforcer son identité spirituelle dans son espace civilisationnel en cours d’élaboration.
C’est donc exactement la démarche inverse de ce qui est préconisé aujourd’hui lorsqu’on intime aux Européens d’accueillir sans conditions tous les migrants qui se présenteront ! Dieu a aidé puissamment son peuple à revenir sur la terre qu’il lui destinait, et aujourd’hui, on voudrait que Dieu encourage les migrants à investir des territoires pour s’y imposer au cœur de civilisations qui leur sont étrangères.
Dans la foi biblique, l’être humain est « image de Dieu », par conséquent le respect de la dignité humaine est à la base même de la charte de l’alliance. On saisit pourquoi la qualité d’accueil de l’immigré en terre d’Israël a été si fortement soulignée dans les Ecritures:
« Tu ne maltraiteras pas l’étranger, et tu ne l’opprimeras pas, car vous avez vous-mêmes été étrangers au pays d’Egypte ». (Ex 22/21)
Et encore :« Cet étranger qui vit chez vous, vous le traiterez comme un natif du pays, comme l’un de vous. Tu l’aimeras comme toi-même ». (Lv 19/33) Avec la veuve et l’orphelin, l’étranger démuni faisait partie des personnes fragiles de la société.
Faut-il préciser, pour éclairer les débats d’aujourd’hui, qu’un étranger était accueilli et respecté dans le cadre obligatoire d’une réciprocité qui fait totalement défaut de nos jours. On lit en Ex 12/49 : « La même loi existera pour l’indigène et pour l’étranger en séjour au milieu de vous ! » C’est donc avec un éclairage volontariste qu’il faut comprendre l’appel d’ouverture lancé par Jésus à ses disciples : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ! » (Mt 25/35) Sans oublier que ce passage a été rédigé sous cette forme par les évangélistes qui pensaient aux nouveaux disciples persécutés et obligés de fuir la répression romaine d’un pays à l’autre. L’étranger en question n’était pas un immigrant économique, c’était surtout un frère de conviction pourchassé qu’il faut protéger.
Les étrangers n’arrivaient pas en Israël de manière invasive. Les proportions n’avaient aucun rapport avec celles d’aujourd’hui. Si tout étranger s’attendait à être traité dignement – selon les règles religieuses en vigueur – il devait en retour respecter les lois et coutumes hébraïques du pays d’accueil, c’est-à-dire clairement renoncer à imposer à ses hôtes ses propres coutumes. Les prophètes étaient certainement les premiers à dénoncer l’égoïsme des fils d’Israël quand il le fallait, mais ils refusaient aussi avec vigueur toute importation de coutumes allogènes dangereuses pour la cohésion spirituelle des habitants légitimes du pays. Les multiples croyances issues du paganisme étaient en effet incompatibles avec les valeurs de la Tradition biblique, où sagesse et prophétie refusent que soient idolâtrés le pouvoir, l’argent, le sexe. Ainsi furent interdites toutes formes de magie et superstition, néfastes pour l’être humain, seul le Dieu des pères étant le garant de la justice et de l’harmonie sociale. C’est pour défendre ces valeurs communautaires essentielles que les Maccabîm ont organisé leur résistance face aux agressions du conquérant païen Antiochus Epiphane.
Même si des règles de vie en commun instauraient des limites préventives, il n’y avait pas pour autant de xénophobie dans la tradition d’Israël, pensons aux épisodes de Naaman le Syrien ou à l’histoire d’Elie chez la veuve de Sarepta.
On le constate, le recours à l’asile existe déjà dans la Bible : Moïse l’a institué en établissant six cités-refuge afin de permettre par exemple à un homme poursuivi pour un meurtre involontaire d’échapper aux châtiments expéditifs. Il parlait par expérience! Le livre d’Isaïe nous donne également un aperçu de ce droit, lorsqu’il est question d’accueillir les malheureux rescapés des massacres du royaume voisin de Moab. (Is 16/3). Très tôt, après avoir fait l’expérience de féroces persécutions, l’Eglise chrétienne a confirmé et recadré ce recours à l’asile dans son droit canonique et le code de Théodose en garantit les modalités, même si à partir du Concile de Tolède (7ème siècle) de véritables restrictions y sont apportées pour lutter contre les abus.
Concernant l’accueil des étrangers, migrants et réfugiés, au 21ème siècle, l’enseignement de l’Eglise est censé offrir un éclairage utile. Contrairement à certains discours dominants, des textes officiels insistent sur l’obligation de faire coexister les droits et les devoirs, afin d’éviter les dérives à sens unique.
Retenons à ce sujet le § 2241 du catéchisme de l’Eglise catholique :
« Les nations les mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine.
Mais n’oublions pas les lignes qui suivent :
Les autorités politiques peuvent, en vue du bien commun, subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption.
L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges. »
Dans ce qui subsiste de nos états-providence, une prééminence idéologique s’est emparée du « multiculturel » qui recouvre tout et son contraire. Une telle prédisposition à tout accepter et même à promouvoir des cultures incompatibles compromet l’avenir civilisationnel des nations du vieux continent. Car si l’identité culturelle et spirituelle du pays d’accueil s’efface, l’idée même d’intégration des étrangers perd tout sens. S’intégrer à quoi ? Au nom du multiculturel érigé en principe, on efface les mémoires civilisationnelles locales et on fabrique des habitants hors-sol, sans racines et sans références. Elles sont nombreuses les banlieues de France, d’Angleterre, d’Allemagne, d’Italie où ce sont les autochtones qui doivent maintenant se faire « intégrer » par les nouveaux habitants venus d’ailleurs et occupant le terrain sans ménagement. Au nom de bons sentiments, les Eglises se montrent incapables de formuler une parole commune incitant simultanément à la générosité et au discernement.
Une légitime inquiétude à la fois sécuritaire, identitaire et économique ne fait que s’accélérer au sein des peuples européens. Lors de sa visite à Madagascar, le pape François encourageait la jeunesse locale à prendre en mains l’avenir du pays, en développant sur place les dynamiques nécessaires. Et en ce qui concerne l’aide internationale pour ce pays parmi les plus pauvres du monde, il exprimait un souhait qui devrait s’appliquer à l’Europe :
« L’aide ne doit pas entraîner vers une prétendue culture universelle qui méprise, enterre et supprime le patrimoine culturel de chaque peuple ! »
Les Occidentaux ne sont-ils pas directement concernés par cette sage mise en garde d’un pape, connu pour ses options personnelles focalisées sur les migrants ? L’accueil solidaire ne doit jamais servir de prétexte à occulter la défense du patrimoine spirituel judéo-chrétien, fondement de la civilisation occidentale. Cette amnésie coutera très cher…
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.
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