11/04/2021

L’infirme de la belle porte (Actes3, 1-26)

« A l’heure de la prière de l’après-midi, Pierre et Jean montaient au Temple. On y amenait un homme qui était infirme de naissance. On l’installait chaque jour à la Belle Porte pour qu’il demande l’aumône à ceux qui allaient au Temple.

Voyant arriver Pierre et Jean, il leur demanda l’aumône. Alors Pierre se tournant vers lui, ainsi que Jean, lui demanda : regarde-nous ! L’homme s’attendait à recevoir une pièce.

Pierre lui dit : je n’ai ni or ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus de Nazareth, le Messie, lève-toi et marche ! Le prenant par la main droite, Pierre le releva, à l’instant même, ses pieds et ses chevilles devinrent solides. Tout le peuple le vit marcher et louer Dieu… »

Ce remarquable récit de Luc a beaucoup de choses à nous dire… Voici un homme qui depuis sa naissance est dépendant des autres en raison de son infirmité. On le dépose à l’entrée du Temple et il tend chaque fois la main pour survivre. Il n’a pas la possibilité d’entrer dans le sanctuaire et se tient passivement à la Belle Porte. Certes, si la porte est belle, elle reste une porte qu’il ne peut franchir. Dans une posture analogue, beaucoup de nos contemporains se tiennent statiquement au seuil de la vie spirituelle, mais sans pouvoir en recueillir les bienfaits, leur état de conscience restreint les contraignant à survivre en circuit fermé.

Pierre et Jean, deux apôtres animés par la bonne nouvelle de la résurrection de Jésus arrivent, et, en voyant cet homme, ils ne se contenteront pas d’un simple geste d’aumône envers lui. De manière automatique l’homme attend une ou deux pièces, mais Pierre insiste : « tourne ton regard vers nous ! » C’est en effet par l’échange de regard que la situation va basculer. C’est une rencontre de personne à personne qui modifie la donne. Pierre lui explique qu’il n’a ni or ni argent à partager, mais qu’il a beaucoup mieux à lui transmettre : la force de vie qui émane de Jésus ressuscité !  C’est pourquoi il l’interpelle : « lève-toi et marche ! »

(A noter que le mot hébreu pour dire se lever est le même que pour dire ressusciter) Quant à « Marcher », dans la tradition biblique, c’est l’attitude d’une vie assumée, en lien avec la Parole de Dieu, une vie humaine en voie d’accomplissement dans l’alliance.

Tout change à ce moment-là. L’homme prisonnier de son état va devenir capable d’autonomie. Il ne sera plus enfermé dans la routine de la dépendance. Intérieurement fortifié par la puissance de l’Esprit du Christ, il peut franchir le seuil et passer la Porte du Temple, il va entrer dans le sanctuaire pour exprimer sa louange à Dieu.

Le détail du texte est très parlant : le prenant « par la main droite », Pierre le relève…La main droite a une résonance particulière : cette précision correspond à l’activité réussie d’un être humain. Les psaumes répètent que la droite de Dieu réalise des merveilles. Donc en lui donnant la force du Christ, Pierre sollicite le meilleur de cet homme et lui restitue sa dignité.

Autre mention révélatrice : à l’instant même, « ses pieds et ses chevilles deviennent solides… » Ce n’est pas là l’action d’un physiothérapeute ou d’un rebouteux sur un membre souffrant, c’est la restitution, en faveur de cet homme, de sa capacité personnelle à se tenir debout et à avancer un pas devant l’autre. Le pied (comme dans l’épisode du lavement des pieds) c’est l’image de la démarche humaine, avec la liberté d’aller et venir et d’orienter sa vie. La cheville, c’est l’articulation indispensable qui permet de se mouvoir de manière sûre, sans fléchir.

La question ici esquissée est celle d’une renaissance, il s’agit de pouvoir mener sa vie en fonction de valeurs spirituelles fiables et d’une sagesse qui permet de devenir soi-même.

En recevant intérieurement la force de résurrection du Christ transmise par l’apôtre Pierre à l’homme de la Belle Porte, l’articulation restaurée prend cette dimension essentielle ! Il se voit réintégré dans le pouvoir d’assumer les fonctions de son être (corps, âme, esprit) en harmonie avec la Parole de Dieu.

C’est alors que chaque parole biblique, chaque expression de sagesse, devient comme le tendon et le ligament qui relie l’articulation au muscle, rendant possible ce dynamisme qui permet de gérer la situation en se projetant vers le meilleur de soi-même. L’ancien paralysé aux pieds et aux chevilles régénérés peut maintenant harmoniser ses pensées et ses actes, ses réflexions et ses émotions, il peut rendre cohérente sa vie personnelle et sa vie sociale. L’Esprit de Dieu l’a libéré de sa paralysie antérieure. Luc mentionne qu’il y a des témoins de ce changement radical : « tout le peuple le vit marcher et louer Dieu ».

Ce récit décrit en termes imagés la situation d’hommes et de femmes de tout temps qui errent sans perspective et sans moyen de quitter ce cercle infernal qui les épuise. Immobilisés par l’absence de spiritualité, ils sont dépendants de la situation environnante et restent repliés sur eux-mêmes, sans pouvoir franchir l’étape libératrice.

Seul le regard bienveillant de témoins du Christ, comme Pierre envers l’infirme, pourra leur rendre la force intérieure qui relève et qui donne l’énergie d’aller de l’avant sur un chemin de vie authentique.

De la même manière que dans le récit de Luc, un geste, une parole, une attention donnés de la part de Dieu pourra devenir la délivrance providentielle et décisive qui permettra à ces hommes et à ces femmes d’enfin d’articuler leurs attentes avec leur volonté d’assumer leur vie. Cette force surnaturelle les libère de leur désenchantement et les fait accéder à la joie de vivre les vraies valeurs, en abandonnant au passé les faux semblants éphémères.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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