10/10/2021

Paul le persécuteur converti par sa victime

Le théologien protestant Daniel Marguerat présente une réflexion inédite et très intéressante sur la destinée hors du commun de l’apôtre Paul.

Paul est à l’origine un pharisien modéré, formé à la meilleure école biblique de Jérusalem, mais devenu au fil du temps activiste radical et persécuteur de dissidents. Selon Daniel Marguerat, théologien spécialiste du livre des Actes des Apôtres, l’histoire bien connue de la conversion de Paul sur le chemin de Damas n’aurait jamais été possible sans l’évangélisation du bourreau par sa victime, un homme nommé Ananias.

Le texte des Actes raconte l’événement en deux épisodes : l’appel renversant du Ressuscité à Paul sur le chemin de Damas, puis l’enseignement novateur reçu d’un membre de la communauté christique nommé Ananias.

Entre 30 et 40, Shaoul de Tarse  est un homme intelligent motivé par de  fortes convictions. Il est non seulement juif et romain, mais il a aussi une double formation : celle reçue chez Gamaliel, érudit dans la tradition juive, et celle acquise auprès d’une école stoïcienne, renommée pour l’efficacité de sa rhétorique.

Lorsque les premières communautés juives adhérant au Christ se développent, aux côtés d’autres groupes considérés comme marginaux par les autorités de Jérusalem, Paul se lance dans une opération visant à garantir la pureté de la foi traditionnelle. Il persécute les membres de ces groupes appelés « minim » avec la prétention de sauvegarder l’identité traditionnelle menacée.

L’évangéliste Luc relate ces situations conflictuelles entre courants dans le Livre des Actes des Apôtres au chapitre 9 :

« Saul ne cessait de menacer de mort les disciples du Seigneur. Il alla trouver le grand-prêtre et lui demanda des lettres d’introduction pour les synagogues de Damas, afin que s’il trouvait des personnes, hommes ou femmes qui suivaient le chemin du Seigneur, il puisse les arrêter et les ramener à Jérusalem. »

Or, sur le chemin de Damas, voici qu’une voix interpelle Paul : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » « Qui es-tu ? », demande Paul… « Je suis Jésus que tu persécutes ! »

Lorsque Paul se relève, il a perdu la vue, écrit Luc. Ses compagnons de route le conduisent à Damas. De ce fait, le plan d’action de Paul est compromis. En suivant le texte de près, on comprend que la conversion de Paul n’a pas encore pu avoir lieu. Elle va se réaliser par la suite grâce à la rencontre avec un certain Ananias, qui faisait partie du groupe que Paul était venu liquider. Selon Luc, le Ressuscité a confié à ce juif chrétien la mission d’enseigner à Paul une catéchèse de guérison. Ananias réagit : « Seigneur, de nombreuses personnes m’ont parlé de cet homme et m’ont raconté tout le mal qu’il fait à tes fidèles à Jérusalem ».

On constate que le message christique demande à Ananias de parler à son bourreau pour l’amener à la vérité. Le Ressuscité explique le sens des événements : « J’ai choisi cet homme pour faire connaître mon nom aux autres nations… ». C’est une vraie révélation : Paul le persécuteur va devenir l’apôtre des nations. L’ennemi numéro un des disciples reçoit ainsi la mission étonnante de faire franchir au mouvement christique les frontières du judaïsme, à l’intérieur desquelles Jésus avait initialement inscrit son engagement.

Ananias répond à l’appel et, parti à la rencontre de Paul, il lui impose les mains en disant : « Saul, mon frère, le Seigneur Jésus qui t’est apparu sur le chemin m’a envoyé vers toi pour que tu puisses acquérir une vision nouvelle et que tu sois animé de l’Esprit Saint ». Les sortes d’écailles qui recouvraient les yeuxde Paul tombent et il peut voir de nouveau. Il est baptisé et les forces lui reviennent aussitôt.

Mais des regards interrogatifs se tournent vers Paul : « N’est-ce pas cet homme qui persécutait violemment à Jérusalem ceux qui font appel au nom de Jésus ? N’est-il pas ici exprès pour les arrêter ? ».

Et Paul va devoir préciser le sens qu’il donne à sa nouvelle démarche de foi : il ne change pas de religion, il donne une nouvelle orientation à sa foi juive en intégrant la résurrection du Jésus. Paul commence son ministère de prédicateur du Christ dans les synagogues de Damas. On verra dans ses épitres qu’il continue de faire le lien entre l’enseignement du Christ et les fondamentaux du premier Testament. Les promesses faites au peuple choisi, Israël, s’élargiront à toutes les nations. Paul ouvre la tradition biblique et son éthique vertueuse à l’ensemble des hommes de bonne volonté, comme le préfiguraient certains prophètes d’Israël.

Que peut-on déduire de cette étape surprenante où le persécuteur est délivré de sa violence par sa victime ? Le théologien protestant y voit un message à trois niveaux. Premièrement, Dieu passe par des médiations humaines. Nous sommes tous interdépendants et c’est ensemble, tels que nous sommes, que nous édifions l’avenir par nos initiatives inspirées.

Ensuite, il convient de savoir s’émerveiller du courage des gens simples et ordinaires. Ces attitudes de confiance et d’engagement dans la vie de tous les jours contribuent discrètement à changer la donne.

Et enfin, le monde en effervescence est rempli de confrontations entre bourreaux et victimes. Le témoignage de Luc nous dit que le retournement de situation est possible, au-delà des clivages conflictuels. Une voie peut être recherchée dans laquelle bourreaux et victimes peuvent être sauvés de la fatalité et de son cortège d’horreurs.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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