L’évangile de Jean s’est élaboré par étapes au cours du 1er siècle, et c’est le texte qui médite le plus profondément sur le mystère du salut.
Son objectif est de nous montrer Jésus comme l’incarnation de la Parole, l’expression parfaite de l’amour de Dieu…Mais ce récit johannique qui nous parle le plus d’amour est aussi celui qui insiste le plus sur les commandements ! C’est donc le signe que l’amour en question n’est pas un amour abstrait, ce n’est pas un état d’âme fluctuant au gré des circonstances : c’est un comportement aimant, fidèle, assumé librement jusque dans les détails de la vie quotidienne, et même jusqu’au don de soi.
Nous en avons le plus bel exemple le jeudi saint, avec l’évangile du lavement des pieds que l’évangéliste a associé au mémorial eucharistique.
Dans l’évangile de Jean, contrairement aux synoptiques, il n’y a pas de récit de l’institution eucharistique ; en revanche, aux côtés des discours sur le Pain de Vie, il y a la mise en valeur de ce surprenant geste de serviteur que Jésus a tenu à relier à la sainte cène. Que signifie cette posture de Jésus, à même le sol, avec son eau purificatrice entre les mains pour accomplir le geste du serviteur ? Quelles clés pouvons-nous trouver dans l’Ecriture pour comprendre la portée de ce comportement surprenant ?
Jésus ne crée pas une nouvelle religion : pour les Israélites, la foi est d’abord une pratique avant d’être une déclaration d’intention. Mais surtout, il y a ici un discret rappel du lavement des pieds initialement mentionné dans le Premier Testament, au livre de la Genèse. C’est celui d’Abraham lorsqu’il accueille chaleureusement trois mystérieux visiteurs venus lui annoncer à lui et à Sara, la naissance d’un fils. Et il y a encore un autre passage biblique qui peut aider à comprendre le geste symbolique de Jésus : toujours au Livre de la Genèse, chap.2, juste avant la création d’Adam, on lit : « un eau jaillissante montait de la terre et arrosait toute la surface du sol »…
C’est alors que Dieu « façonne » l’homme, comme le potier avec la glaise, et qu’il lui insuffle son haleine de vie ; aussitôt l’homme devient un être vivant…
L’évangéliste Jean nous offre dans cet épisode du lavement des pieds une méditation sur une nouvelle création : celle du Fils de l’Homme qui remodèle l’être humain grâce à l’eau purificatrice. Le 4ème évangile commence d’ailleurs avec les mêmes premiers mots que ceux de la Genèse : « au commencement ». Il s’agit bien, avec Jésus, d’un nouveau commencement, un départ de vie nouvelle proposé aux disciples.
Si Jésus a réuni ses disciples pour le repas de commémoration de la Pâque juive, c’est parce qu’il veut y inscrire son mémorial eucharistique. Mais il le fait, en montrant – tablier autour des reins – que ce rituel n’est pas seulement prière d’action de grâce à Dieu, il est aussi service des frères…
Alors Jésus prend lui-même le rôle qui est celui du serviteur, évoqué par Isaïe ! Et au moment où il s’arrête devant Simon Pierre, celui-ci réagit spontanément par un refus gêné. Mais Jésus clarifie immédiatement le sens de son geste : Si je ne te lave pas les pieds, tu ne pourras pas prendre part à ce que je suis en train d’accomplir…En effet, Jésus s’apprête à connaître une plongée dans la mort, librement, et par amour pour l’humanité, afin de faire triompher la vie. En comprenant l’intensité du moment, Pierre s’exclame : dans ce cas, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête…
Cette phrase est un véritable acte de foi dans la mission libératrice de Jésus, une Pâque qui se répète, car on touche ici à plusieurs registres. Dans la littérature biblique, les pieds, les mains, la tête représentent plus que les parties organiques du corps humain. Il ne s’agit pas d’une simple affaire d’hygiène, mais c’est comme une catéchèse du baptême. Car le baptême est une purification de l’être tout entier. Or, les pieds (reguel) représentent toutes les démarches que nous pouvons faire chaque jour : aller à la rencontre des autres, visiter quelqu’un, partir contempler la création, orienter notre vie par des choix…
De ce fait, accepter de la part de Jésus que nos pieds soient lavés par lui, cela veut dire que nos démarches de toutes sortes, les plus ordinaires comme les plus décisives, seront assainies de tout ce qui nous éloigne du bien vers des voies sans issue. En lavant les pieds de ses disciples, Jésus purifie en même temps ce qui nous fait tenir debout et ce qui nous permet d’avancer dans la vie, un pied l’un après l’autre. La Bible nous dit que l’essentiel, c’est de « marcher avec Dieu »…
Même signification en ce qui concerne les mains, (yad) qui représentent l’activité humaine : ce que nous réalisons par le travail, la créativité, ce que nous construisons pour édifier, les mains que nous tendons en direction des autres, pour exprimer l’amitié, la tendresse, les mains que nous élevons vers le ciel dans la prière…toutes ces attitudes des mains ont besoin elles aussi d’être purifiées de toute déviation idolâtrique, de tout dévoiement païen, de toute violence, et de tout gaspillage.
Quant à la tête, (rosh) c’est le siège de la pensée, de la réflexion et des décisions. Laver la tête, c’est la purifier des pensées malsaines, futiles, égocentriques, c’est la libérer des étourdissements artificiels, des idées creuses, c’est la rendre pure de toute mauvaise influence, afin qu’elle joue son rôle en guidant avec intelligence l’activité quotidienne des mains et des pieds.
Tout cela n’étant possible évidemment qu’avec un cœur vivant selon Ezekiel : un « cœur de chair », vivant, et non pas dur et inerte comme la pierre. Dans les évangiles synoptiques, on découvre Jésus qui secoue ses disciples en reprenant les mêmes termes pour les inciter à faire des choix cohérents avec son enseignement. Il n’hésite pas à leur dire :
« si ta main t’entraîne au péché, coupe-là…» Si ton activité, ta manière d’agir est néfaste, aie le courage de faire le nécessaire, change de comportement !
« Si ton pied t’entraîne au mal, coupe-le ! » Si tes démarches te conduisent à ta perte, change au plus vite d’orientation dans ta vie!
« Si ton oeil t’entraine au péché, arrache-le ! » Quelle est ta vision du monde, ton regard sur les autres ? Il est indispensable d’être lucide, rappelle Jésus.
Cette semaine sainte nous encourage à accueillir dans nos vies la lumière libératrice de Pâques, elle exprime aussi notre attente d’être purifiés dans tous les aspects de notre être, exactement comme Simon Pierre qui demande à Jésus une entière purification : avec lui, disons aujourd’hui avec confiance : les pieds, Seigneur, mais aussi les mains et la tête ! En laissant cet évangile insuffler un puissant renouveau dans notre existence, nous allons mieux vivre ce que St Jean nous donne à méditer : le double commandement eucharistique, celui de l’amour de Dieu inséparable du service des autres.
Amen
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.
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